L’approche droits dans la coopération internationale : le défi des contextes fragiles

Pourquoi l’approche basée sur les droits est-elle si importante dans la coopération internationale, et a fortiori dans les contextes particulièrement fragiles ? Quels sont les outils concrets, les bonnes pratiques et les défis que rencontrent les acteurs de la coopération internationale dans la mise en œuvre de cette approche, en particulier dans les contextes fragiles ?

Geoffroy Matagne, politologue à l’université de Liège, nous a présenté les outils concrets qui existent aux niveaux européen et belge, pour mettre en pratique l’approche basée sur les droits. Des acteurs internationaux nous ont présenté les bonnes pratiques mais aussi les défis auxquels ils font face dans l’opérationnalisation de cette approche. La session a porté sur les outils à promouvoir et les obstacles à éviter pour tout acteur voulant mettre en œuvre l’approche droits.

 

Co-organisée par le CNCD-11.11.11 et 11.11.11

Modération par Antoinette Van Haute du CNCD-11.11.11

Geoffroy Matagne – Groupe de Recherche en appui aux Politiques de Paix (GRAPAX) & PSR HRBAD (http://www.hrbad.be), département de science politique de l’Université de Liège

ABD et fragilité

Fragilité : Partir du contexte

  • “Exposition à des risques v. capacités insuffisantes” (OCDE, 2016)
  • “State actors and systems failing to provide basic services to poor people because they are unwilling or unable to do so” (OECD, 2006)
  • Relations Etat-société et “contrat social”: au coeur de l’ABD
  • Particulièrement important MAIS encore plus difficile

Difficultés rencontrées

  • Accès aux services de base
  • Respect et protection des droits humains fondamentaux
  • Gouvernance démocratique et Etat de Droit
  • Capacités des acteurs étatiques et de la société civile

Qu’est-ce qu’une ABD?

Une ABD est un cadre conceptuel et méthodologique impliquant:

  • la planification,
  • l’adoption,
  • la mise en place et
  • l’évaluation

d’une politique de développement sur la base d’un système mondial de droits et d’obligations

Concepts clés

Un droit est une relation entre un individu ou un groupe social qui a une réclamation valable (détenteurs de droits) et un/plusieurs autre/s individu/s, groupe/s ou institution/s qui a/ont une obligation (débiteurs d’obligations) à son égard.

  • Détenteurs de droits
    • Droits spécifiques par rapport à des détenteurs d’obligations spécifiques.
    • Tous les êtres humains sont titulaires de droits.
    • Certains groupes ont tendance à voir leurs droits non pleinement respectés, protégés ou réalisés.
  • Débiteurs d’obligations
    • Acteurs étatiques ou non étatiques mais le garant ultime est l’État.
    • Obligation de respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits humains
  • Ce sont des rôles dans une relation.

Principes Droit humaines (ONU)

  • Universalité
  • Interdépendance
  • Indivisibilité

à conceptuel

  • Egalité et non-discrimination
  • Participation et inclusion
  • Responsabilité et Etat de droit

è opérationnel

DH comme objectifs et guide des processus

BE et EU : “Human rights and standards both as a means and a goal of development cooperation” (Toolbox 2014)

  • Processus et méthodologie (outils)
  • Fondamentalement stratégique et politique

The MEET principles

  • Meaningful participation
  • Equality, non-discrimination and inclusion of marginalized groups (leave no one behind)
  • Empowerment and capacity building
  • Transparency and accountability

à Interdépendance des principes: ils ne peuvent être réalisés que tant qu’ils sont tous respectés. participation ó inclusion ó empowerment ó transparence

La valeur ajoutée de l’ABD

Focus sur les inputs plus que les résultats >< Focus sur les processus et les résultats

On répond à des besoins >< On réalise, respecte, protège, promeut des droits

Individus: bénéficiaires passifs des interventions >< Individus: renforcés dans leur capacité de faire valoir leurs droits

Individus: méritent une aide/assistance >< Individus: ont droit à une aide/assistance

Focus sur les causes immédiates des problèmes >< Focus sur les causes profondes (root causes)

Défis généraux

  • Des choix complexes et arbitrages
  • Pour l’intégration internationale de l’approche il faut un processus et de l’engagement à long terme. Ces contextes de fragilité changent tout le temps.
  • La question des ressources: ça implique d’avoir une formation adaptée à l’approche, des ressources de temps, moyens et expertise.

MEET: à la rencontre des défis, expérience et outils

  • Qui, pour qui et avec qui ?
  • A quel moment du programme ?
  • Avec quel effet?

 

-> Présentation de Geoffroy Matagne

Passy Mubalama – Aidprofen (Actions et initiatives de développement pour la protection de la femme et de l’enfant) (RD Congo)

au Nord Kivu, dans l’est de la RDC

 

Contexte sécuritaire au Nord Kivu (Avant l’Etat de siège)

  • Contexte difficile caractérisé par des conflits armés depuis plus de deux décennies déjà
  • Plus de 120 groupes armés nationaux et étrangers qui sont responsables de plusieurs violations des droits humains (spécialement des droits des femmes et des enfants), des incursions etc.
  • Des violations graves des droits humains dont des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité, et on parle quelque fois d’un génocide au Congo même si cela n’a pas été déclaré officiellement.
  • Des déplacements massifs des populations à la recherche de la paix et la sécurité, et des populations vivent dans des conditions très difficiles.
  • Une instabilité politique avec un changement de régime et une recherche à la stabilisation (tractations politiques entre les FCC et le CACH) et qui a amené le président à la création de l’Union sacré de la Nation congolaise à laquelle plusieurs acteurs politique ont adhérés.
  • L’état de siège a été instauré depuis le 06 mai dans deux provinces de l’est de la République démocratique du Congo le nord Kivu et l’ITURI, des provinces secouées par des conflits, dans l’objectif selon les autorités congolaises (le chef de l’Etat) de mettre fin à l’activisme des groupes armés dans l’est du Congo.
  • Ce régime exceptionnel donne le plus grand pouvoir aux forces armées de la République
  • Les autorités militaires sont habilitées à perquisitionner les domiciles de jour et de nuit, à interdire des publications et des réunions considérées comme portant atteinte à l’ordre public, à interdire la circulation des personnes et à interpeller quiconque pour perturbation de l’ordre public. Les civils sont poursuivis devant des tribunaux militaires, ce qui est contraire aux normes régionales.
  • Malheureusement ce régime exceptionnel a montré certaines faiblesses notamment:
  • La traque des groupes armés ainsi que des affrontements entre l’armée loyaliste, les FARDC et les groupes armés qui occasionnent des déplacements massifs de la population.
  • Une hausse du nombre des violations des droits humains au Nord Kivu, comme en Ituri,
  • Des massacres des populations qui continuent à être enregistrés
  • Des cas de viols des femmes et de jeunes filles, des agressions sexuelles pas seulement par les groupes armés mais aussi par certains éléments des forces loyalistes ainsi que par des civils .
  • Des formes des violences basées sur le genre notamment des cas de viols
  • Agressions sexuelles et physiques, mariage forcé, déni des ressources, la violence psychologique, des cas des meurtres etc.

 

L’approche des droits humains

L’approche des droits humains dans la coopération au développement est clé parce que c’est une approche ou l’homme est mis au centre des préoccupations. Non seulement pour le gouvernement, mais aussi pour toutes les institutions concernées. Le respect des principes et des droits de l’homme est très important, car nous ne pouvons pas parler de développement sans justice. L’ABD garantit que vous avez accès à la justice et que vos droits de l’homme sont garantis (universalité). Ils veillent à ce que la paix soit maintenue, à ce qu’il y ait plus d’égalité, moins de corruption et à ce que la vie soit plus facile.

 

Notre travail :

La sensibilisation des hommes sur la violence contre les femmes. On est des partenaires de 11.11.11. et on travaille en tant que partenaires sur un pied d’égalité, sans approche descendante. Chaque jour, nous veillons à ce que les gens puissent exprimer leurs opinions et c’est important dans une ABD. Chacun a le droit de faire valoir ses droits auprès des détenteurs d’obligations.

 

Des défis pour appliquer l’ABD

  • Il y a un grand danger pour les défenseurs des droits de l’homme. Juste parce que nous voulons revendiquer nos droits en tant qu’ayants droit, nous sommes ciblés par les DP, car nous compromettons certains intérêts (sociaux et politiques).
  • Nous essayons également d’influencer les politiques au niveau local/national/international.
  • Néanmoins, le contexte reste très fragile et la communauté et les personnes doivent jouer un rôle central. Bien sûr, ils ne peuvent le faire que si leurs besoins fondamentaux sont satisfaits.

Je pense que nous ne pourrons y parvenir que si la coopération entre tous les pays est suffisante.

 

-> Présentation de Passy Mubalama

Saliou Diallo (Secrétaire-générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG)

L’industrie minière en Guinée est très nuisible pour nos forêts et nos populations. Les actions des entreprises violent les droits de la population locale et pourtant elles sont soutenues par le gouvernement. Nous voulons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire comprendre que nous nous battons et former des alliances avec des ONG nationales et internationales.

 

Contexte

L’État de droit est essentiel, mais nous ne l’avons pas. Nous avons connu trois transitions depuis 1958. En 84, le pouvoir a été repris et en 1990, il y a eu une nouvelle constitution. Ensuite, nous avons eu différents partis et en 93, il y a eu des élections dans le pays et le général qui a été élu à ce moment-là a fait tout ce qu’il a pu pour rester au pouvoir jusqu’en 2008. Juste après, l’armée a repris le pouvoir, de sorte qu’il n’y avait à nouveau aucun état de droit et aucune protection ou respect des droits de l’homme. En 2020, le pire était passé, jusqu’au 5 septembre de cette année, lorsque l’armée a repris le pouvoir. Nous travaillons avec les syndicats par le biais de diverses fonctions syndicales, de la société civile, de l’éducation, en allant vers les gens pour leur expliquer quels sont leurs droits. Nous luttons également avec le syndicat pour une nouvelle constitution. Pourquoi l’ABD est-elle si importante dans ce contexte ? En raison des multiples coups d’État, la situation est très difficile pour les femmes et les enfants, qui sont les plus vulnérables (violence contre les femmes). Il est très difficile de sortir de la spirale négative.

 

Les défis :

– Contexte social et politique fragile avec des institutions très faibles.

– Chaque fois que nous avons l’espoir d’établir un état de droit, il y a un coup d’état. Seuls les syndicats se battent encore pour une constitution valable avec des droits de l’homme.

– Bonnes pratiques : il est important de coopérer avec des organisations internationales comme la vôtre pour protéger les enfants/femmes/mineurs, c’est-à-dire les groupes les plus vulnérables.

Points de discussion/ Points d’intérêt soulevés lors du débat

Hans Joppen de la DGD : Il y a une obligation d’appliquer l’approche. Au sein de l’UE, l’accent est également mis de plus en plus sur le ABD dans les interventions. Ils sont également fortement encouragés à commencer à l’appliquer sur le terrain. Également au niveau de l’ONU autour de l’agenda SDG 2030, qui est une ABD de manière transversale. Nous développons des lignes directrices et des outils pour les partenaires sur le terrain. En termes de politique, il y a aussi une application de l’ABD dans la politique. La grande différence est qu’elle est basée sur des acteurs actifs qui ont des droits, ce qui implique également un élément législatif. Ils peuvent demander des choses au gouvernement eux-mêmes, une citoyenneté active, nous devons être capables de réaliser cela dans le cadre de la coopération au développement afin que les gens puissent se préoccuper de leur propre développement. Il faut davantage de cadre, mais les ONG y travaillent déjà.

Conclusion

L’ABD sensibilise les acteurs belges et les partenaires locaux. L’ABD est fondée sur l’égalité radicale de tous les citoyens et sur l’accès égal à tous les droits, quels que soient leur milieu ou leur origine. Les relations doivent être renversées et redéfinies. Identification des groupes les plus vulnérables et les bénéficiaires est le plus important. Ils devraient être les plus impliqués et devoir être capables de participer. C’est fondamentalement très intéressant mais on a aussi besoin des ressources comme expertise, du temps. Les problèmes sont communs à tout le monde, on ne doit pas parler des ‘pauvres congolais’, mais une coopération internationale est nécessaire. On a besoin de l’aide des organisations internationales et aussi du support moral.

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