Le vote d’une loi anti-terrorisme en juillet 2020 a rendu encore plus vulnérables les militant.e.s des droits humains qui se battent justement pour une loi qui les protège, particulièrement dans le climat d’impunité qui règne aujourd’hui aux Philippines.
En 2019, avec d’autres organisations de la société civile, Karapatan a remporté une victoire importante lorsqu’un projet de loi protégeant les défenseur.e.s des droits humains a été approuvé à l’unanimité par les membres de la Chambre des Représentants. Ce projet de loi des Défenseur .e.s des Droits Humains (DDH) a pour objectif d’obliger l’État à protéger ces personnes et à constituer des recours légaux en cas de violation de leurs droits.
Ce projet de loi cherche aussi à proposer des mesures de réparation pour les femmes militantes des droits humains et les activistes de la communauté LGBTQIA++, victimes d’attaques sexuelles basées sur le genre. Cette loi est passée dans une ambiance de harcèlement croissant et de campagnes de dénigrement du gouvernement philippin contre les défenseur.e.s des droits humains.
L’assassinat récent de Zara Alvarez, membre de Karapatan et personnalité connue pour la défense des droits humains, a mis en lumière la situation difficile des défenseur.e.s des droits humains sous le gouvernement actuel. Alvarez est la 13e collaboratrice de Karapatan tuée sous l’administration Duterte.
Obstacle au projet de loi
Le projet de loi homologue au Sénat reste cependant en attente depuis son introduction en 2018 par la sénatrice Leila De Lima, elle-même militante des droits humains et voix critique contre le président Duterte. De Lima est en détention depuis trois ans déjà sur base d’accusations montées de toutes pièces selon les défenseur.e.s des droits. Aux Philippines, les projets de loi deviennent des lois après approbation de la Chambre des Représentants comme du Sénat.
Malgré cet obstacle, Karapatan a poursuivi ses efforts de lobbying auprès des législateurs pour faire passer cette loi et a porté cette cause dans la rue pour attirer l’attention du public sur la situation difficile des défenseur.e.s des droits humains. Dans le cadre de son engagement au sein des mécanismes des droits humains des Nations Unies, comme l’Examen Périodique Universel, Karapatan a constamment souligné l’urgence à faire pression sur le gouvernement philippin pour qu’il acte la loi DDH, étant donné la dégradation des droits humains dans le pays.
« Cette loi met en évidence de façon globale les besoins et les menaces qui pèsent sur le travail de défense des droits face à des attaques menées par l’État, et elle représente une mesure vitale pour la population, les communautés et les défenseur.e.s des droits pour pouvoir poursuivre notre travail. Nous sommes criminalisés et stigmatisés comme « ennemis de l’État », « terroristes », « déstabilisateurs » et autres étiquettes pour justifier les attaques contre nous, menées sous couvert de programmes anti-insurrectionnels et d’autres politiques répressives. Il s’agit d’un effort orchestré et systématique en vue de discréditer les DDH et tout cela est fait méthodiquement pour nous enlever nos voix », a déclaré Tinay Palabay, Karapatan.
Loi anti-terroriste
En juillet 2020, alors que le pays luttait contre la pandémie de COVID-19 et que les violations des droits augmentaient en raison de la réponse militarisée du gouvernement à la crise sanitaire, le président Duterte a signé la loi anti-terrorisme. Les groupes de défense craignaient que le gouvernement n’utilise cette loi pour poursuivre les opposants et museler la contestation. Tandis qu’ils continuent à revendiquer le passage de la loi DDH, les défenseur.e.s des droits sont devenus plus vulnérables suite au passage de la loi anti-terrorisme, particulièrement dans le climat d’impunité qui règne actuellement dans le pays.
Impact sur les défenseur.e.s des droits
Jigs Clamor, secrétaire général adjoint de Karapatan, a expliqué en détails la façon dont cette loi impacterait les défenseur.e.s des droits humains et leurs revendications :
- Sous la définition très large et vague du terrorisme, le gouvernement peut tout simplement ignorer les droits garantis par la loi DDH et ses obligations de protéger les défenseur.e.s des droits dès qu’un.e militant.e ou une organisation est qualifié de terroriste.
- Une fois qualifié de terroriste, un.e militant.e des droits humains peut être soumis à de la surveillance, victime d’arrestation non fondée et de détention sans accusation pour une durée de plus de 14 jours.
- Le gouvernement peut geler les comptes bancaires d’individus ou d’organisations qu’il qualifie de terroristes et bloquer les sources de leurs fonds, tant de l’étranger que locales.
A cet égard, la loi anti-terrorisme rendra plus facile les atteintes du gouvernement aux revendications des droits humains et à la protestation. Même avant l’introduction de cette loi, Karapatan et d’autres organisations progressistes ont eu à faire face à différentes accusations du gouvernement, alors que la Cour continue à ignorer leur demande d’introduire des recours contre le harcèlement incessant des militant.e.s des droits humains par les forces de la sécurité d’état.
Opposition croissante
S’il y a quelque chose que le gouvernement n’a pas anticipé, c’est à quel point la loi anti-terrorisme a soulevé l’indignation de la population et rassemblé différents secteurs de la société dans l’opposition et la critique de cette loi : depuis les grands groupes industriels jusqu’aux petits fermiers et pêcheurs, étudiants, ecclésiastiques, populations indigènes, communautés urbaines pauvres, communautés musulmanes, avocats, enseignants, employés, des personnalités connues et beaucoup d’autres encore. Dans l’histoire récente, aucune autre mesure législative n’a rencontré une opposition publique aussi forte.
Des pétitions ont afflué à la Cour Suprême pour que l’on stoppe la mise en œuvre de la loi. Les plateformes des médias sociaux sont pleines de posts détaillant les impacts de la loi et les dangers qu’elle représente pour les droits humains et la liberté. Des activistes ont défié les restrictions dues au COVID-19 quant aux rassemblements sociaux pour organiser des protestations de masse contre la loi.
“Malgré les efforts du pouvoir pour diaboliser les défenseur.e.s des droits, finalement, nous sommes des Philippins ordinaires – enseignant.e.s, prêtres, syndicalistes, artistes, travailleuses et travailleurs de la santé, leaders indigènes, fermières et fermiers, entre autres. Nous ne sommes pas des ennemis mais nous sommes des acteurs d’un développement constant en faveur d’une vie digne pour tou.te.s. Nous rendons publiques les violations des droits humains et exigeons que les porteu.se.rs de devoirs assument leur responsabilité. Nous sommes témoins de violations plus nombreuses des droits humains, de politiques répressives et du rétrécissement de ce qu’on appelle l’espace civique, et ce sont là des signes révélateurs de la nécessité de lutter pour les droits de base et les libertés fondamentales de la population, dans toutes les tribunes possibles, y compris sur la scène législative », déclare Palabay.
Philippines : l’art dans la lutte pour les droits humains
Aux Philippines, Viva Salud soutient des mouvements sociaux qui défendent les droits humains. Karapatan, l’organisation des droits humains la plus importante du pays, est un de ces partenaires. Dans cette vidéo, la directrice Cristina Palabay explique le rôle de la culture et de toutes sortes de formes d’art dans leur lutte pour les droits de l’homme aux Philippines.