Lubumbashi, d’une ville minière à une ville agricole
Lubumbashi est connue pour avoir abrité la Gécamines, la plus ancienne et la plus importante entreprise minière de la République démocratique du Congo. Jusqu’en 1990, la Gécamines assurait un tiers des revenus de la ville. Mais suite aux conflits civils à la fin des années 90 – début des années 2000, l’industrie minière s’est écroulée. La vente d’une bonne partie des concessions minières à des tiers a conduit la Gécamines au bord de la faillite. Le déclin des activités de l’entreprise minière a eu un énorme impact sur la vie économique, et surtout sur le rôle des femmes. Un taux de chômage élevé chez les mineurs, des hommes en majorité, a poussé de plus en plus de femmes vers des activités informelles d’agriculture, le deuxième plus grand atout de Lubumbashi. Dans les quartiers populaires, c’étaient de plus en plus souvent les femmes qui gagnaient l’argent du ménage. La position subalterne des femmes a eu un impact négatif sur les relations sociales entre hommes et femmes.
Premier village de genre en 2015
Les militants de la section d’Etoile du Sud au Katanga ont posé un regard critique sur le rôle de la femme dans la famille congolaise. Dans un premier temps, ce sont les militantes féminines qui se sont posé ces questions. Elles se demandaient par exemple pour quelle raison les femmes ont moins le droit à la parole que les hommes. Elles ont constaté que l’inégalité entre hommes et femmes était une constante dans leur environnement immédiat, aussi bien à la maison qu’au travail, et ont décidé de s’attaquer au problème. Cette mise en question collective de l’inégalité de genre dans l’anonymat de la ville a été un immense défi.
Les militants du Katanga ont entamé dès lors une première réflexion sur leur propre situation à la maison et au travail. Avec l’experte de genre Kat Françoise, de l’Université de Lubumbashi, ils ont cherché à identifier le lieu où l’inégalité entre les hommes et les femmes s’était manifestée pour la première fois et la façon dont ils pourraient créer un endroit sûr pour les habitants des quartiers populaires de Lubumbashi pour aborder l’inégalité des genres au sein de la communauté. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’apparaisse le premier village de genre. Mami Meta, du premier village de genre, se souvient encore des paroles du responsable de la formation, « Commencez maintenant à créer une nation de citoyens du genre ». Cette blague les faisait rire mais elle a aussi créé une idée inspirante pour cette initiative. Tout le monde était enthousiaste à l’idée de développer des villages de genre pour défendre l’égalité des genres et l’empowerment des femmes ».
Après cette première étape de réflexion, la section locale au Katanga a lancé une campagne « Villages de genre » à grande échelle pour sensibiliser toutes les structures existantes d’Etoile du Sud, à commencer par les comités populaires de santé, les groupes de jeunes et de femmes, et jusqu’aux organisations membres qui participaient aux activités d’Etoile du Sud au sein des quartiers populaires.
L’engagement est essentiel
Le premier défi pour convaincre les habitants des quartiers populaires à rejoindre le combat a été de les impliquer. En septembre 2016, les militants au Katanga ont entamé, via des enquêtes sociales, une analyse des causes profondes et des manifestations de l’inégalité des genres dans les quartiers populaires. Ils ont interrogé 1175 personnes, dont 629 femmes et 546 hommes, dans cinq des sept communes de Lubumbashi.
Ce travail a permis d’analyser l’inégalité des genres à Lubumbashi et de mettre en lumière des exemples concrets de discrimination dans les quartiers populaires. Les constatations suivantes ont pu être faites :
• les garçons ont souvent priorité au sein de la famille pour l’accès à la scolarité
• on enseigne moins de compétences aux femmes au sein de la famille
• les femmes sont chargées principalement des tâches ménagères
• les femmes ont moins droit à la parole que les hommes
• les femmes ont moins droit de décision au travail
• peu de femmes ont des fonctions de responsabilité ou exercent des métiers impliquant une prise de décisions
Une des constatations les plus révélatrices a été que les femmes comme les hommes sont convaincues du rôle inférieur des femmes. Nombre d’entre elles se sous-estiment et croient que les hommes ont plus de droits parce qu’ils auraient plus de capacités. A la base de toutes les pratiques discriminantes, on trouve essentiellement des croyances et des préjugés culturels et religieux issus des usages traditionnels au sein des communautés. On a pu constater qu’une interprétation littérale de la bible, présentant la femme comme inféodée à l’homme, a un effet néfaste sur la conscience de soi des femmes et des hommes. Des dizaines de citations bibliques teintées de misogynie sont reprises telles quelles dans la conscience collective de la communauté. Ainsi, les femmes sont perçues comme appartenant aux hommes, le fait de partir ailleurs est socialement acceptable pour un homme mais pas pour une femme, les mères seules sont considérées comme égoïstes, et on sort encore des dizaines d’exemples pour affirmer que la soumission de la femme est une condition essentielle pour un mariage réussi.
En janvier 2017, Etoile du Sud a organisé une série d’ateliers pour former des membres de la communauté à devenir initiateurs de villages de genre. Le 13 juillet 2017, le moment était venu pour un atelier placé sous le signe d’un engagement officiel en vue de la création de villages de genre dans les quartiers populaires de Lubumbashi. Une fois les enquêtes réalisées, il était temps d’en partager les résultats. Le défi était de créer le plus de villages de genre possible, où tous les membres se sentent impliqués à égalité et s’entraident dans la dénonciation des préjugés et tabous et la discussion autour des croyances culturelles et religieuses. Les initiateurs ont révélé les résultats des enquêtes au cours d’une opération porte à porte et à travers des actions théâtrales ludiques.
Mama Wa Usafi
Pour impliquer davantage les femmes souffrant d’un sentiment d’infériorité, Etoile du Sud a intégré une campagne de partage dans le cadre d’une campagne plus large autour du droit à la santé. Via des actions collectives de balayage des rues, l’objectif était de donner un rôle actif et une tâche aux femmes au sein de leur communauté afin de booster leur confiance en soi, de donner de la visibilité aux villages de genre et de mobiliser les gens autour du droit à la santé et de l’égalité de genre.
Les actions de balayage des rues se sont vite révélées des stimulants pour les villages de genre parce que les forces motrices derrière ces actions étaient les « mamans » des ménages. D’où le nom de « Maman Wa Usafi » donné à cette campagne, ce qui signifie littéralement « mère de la propreté ». Avec ce slogan, Etoile du Sud voulait mettre la femme au centre de cette campagne et valoriser le rôle des mères au sein de la communauté. La campagne fait référence en premier lieu à la famille et à la force des femmes au sein de la famille, mais elle veut aussi donner aux femmes davantage voix au chapitre et mettre en évidence l’importance des femmes dans les quartiers populaires, dans les villes et les campagnes. Les femmes sont des moteurs de changement, prennent position et prennent des décisions cruciales pour et avec la communauté. Les actions de balayage des rues restent un atout important pour l’implication à un niveau local, d’abord au sein de la famille, ensuite dans les quartiers populaires, pour développer les villages de genres dans et autour de Lubumbashi.
D’autres initiatives encore ont été prises dans le cadre de la campagne « Mama wa Usafi ». Dans le village de Maendeleo Hewa-bora, les initiateurs du village de genre ont développé un projet pour générer des revenus pour les femmes à travers l’élevage et l’agriculture. Ainsi, ils achètent régulièrement des poussins pour les revendre quelques semaines plus tard quand on peut les consommer. Ces premiers revenus ont permis de louer un terrain à cultiver. Ce projet a aussi pour but de soutenir et de développer les actions du village de genre. Ainsi, leur souhait est d’acquérir un bâtiment et des infrastructures adaptées pour des activités comme des formations pour les femmes autour de l’alphabétisation, le leadership, la confiance en soi, la prise d’initiatives, en bref autour de tout ce qu’ils estiment nécessaire pour un vrai combat pour l’égalité des genres dans leur quartier.
Le changement vient d’en bas
Le résultat est visible sur le terrain : les hommes défendent les femmes qui se battent pour leurs idées et les femmes disposent de plus de liberté au sein de leur famille grâce au soutien des hommes et des garçons. La coopération et la cohésion sociale sont plus fortes parce que chacun fait partie des villages. Femmes, hommes, enfants, jeunes, tous, grands et petits, peuvent contribuer à une plus grande égalité des genres. Lors des actions de sensibilisation, les rôles sont aussi inversés, à l’exemple des écoles de genre de Kinshasa, où les filles jouent au foot pendant que les garçons les encouragent. Une manière ludique de briser certains stéréotypes. Le Ministère du Genre et de la Famille du Katanga soutient la campagne et souhaite l’étendre à des régions plus éloignées au sein de la province. Le défi est maintenant de recevoir le soutien structurel des pouvoirs supra-locaux pour les villages de genre au Congo.